A supposer que …

Par Pierre-Yves Verkindt

DEFINITION :

 

Un « A supposer que… » est une contrainte sous forme de (légère) mise en abîme.  Trouvée sur oulipo.net, la contrainte consiste à écrire un texte en prose, comportant au moins 1000 signes ou 200 mots, composé d’une phrase unique. Il ne doit pas comporter de ponctuation forte.

APPLICATION :

 

1.- A supposer que l’on me demande d’écrire  un texte dans le cadre d’un atelier Oudropo,,  à partir d’un autre texte qui existe déjà et dans lequel l’auteur à force d’incises aurait multiplié les tirets pour expliciter sa pensée afin d’être certain que le lecteur ne perde jamais le fil ou ajouté des références à l’internet comportant toujours des tirets du huit j’aurais alors quelque peine à faire le lien  avec ce petit frère de l’Ouvroir de littérature potentielle mieux connu sous le nom d’Oulipo  sauf si bien entendu je pouvais éliminer les tirets modifiant ainsi le sens du texte proposé ou peut-être en révéler une signification cachée que le juge serait lui-même surpris de découvrir alors même que jusque-là il avait l’impression de connaître par cœur la disposition qu’il avait en charge d’appliquer et que confronté à la réalité de la contradiction il cherchait dans ce texte familier les ressources pour la dépasser tout en mêlant les mots et leurs interprétations mais sans jamais ni déformer le texte en interprétant ce qui n’a pas à l’être tombant alors sous le coup du grief de dénaturation ni statuer au-delà du procès ce qui assurément ferait de lui un bien piètre magistrat ou un justicier ce qui ne vaudrait guère mieux.

2.- A supposer que quelqu’un veuille malgré tout et malgré l’insupportable coût que représente pour les entreprises un droit social juste correct et non pas correct et juste  maintenir les droits de travailleurs en cas de dénonciation d’une convention collective il dirait que « lorsque la convention ou l’accord qui a été dénoncé n’a pas été remplacé par une nouvelle convention ou un nouvel accord dans un délai d’un an à l’expiration du préavis les salariés des entreprises concernées bénéficient d’une garantie de rémunération dont le montant annuel pour une durée de travail équivalente à celle prévue par leur contrat de travail ne peut être inférieur à la rémunération versée en application de la convention ou de l’accord dénoncé et du contrat de travail lors des douze derniers mois cette garantie de rémunération s’entend au sens de l’article L 242-1 du code de la sécurité sociale à l’exception de la première phrase du deuxième alinéa du même article L 242-1 cette garantie de rémunération  [étant]  assurée par le versement d’une indemnité différentielle entre le montant de la rémunération qui était dû au salarié en vertu de la convention ou de l’accord dénoncé et de son contrat de travail et le montant de la rémunération du salarié résultant de la nouvelle convention ou du nouvel accord s’il existe et de son contrat de travail ».

 

COMMENTAIRE :


Lu à voix haute, le texte 1 ressemble à un ruban qui se déploie ou à une mélodie qui déroule ses notes. Un peu comme l’eau qui coule, sans jaillissements ni à-coups, d’une fontaine du Palais des Nasrides à l’Alhambra de Grenade ou dans tout autre Alcazar andalou. Quel que soit son objet, l’absence de ponctuation crée une impression de douceur. Prononcé sans respirer, le texte prend des allures proustiennes d’une part par la longueur – et une certaine langueur – de la phrase et d’autre part parce que l’essoufflement qu’il engendre chez celui qui le dit, rappelle l’asthme dont l’auteur d’« A la recherche du temps perdu » était atteint.
Sur l’application n° 2, les passages en italiques sont très oudropiens mais… correspondent à la lettre près, au texte du code du travail. L’ambiance reste proustienne mais elle fait surtout penser à certains passages d’Être et temps (Heidegger). Ce faisant elle ouvre un programme de recherche passionnant sur la Phénoménologie de la bureaucratie et le Dasein de la technocratie.