Dalton
Par Frédéric F. Martin et C. Wallerand
DEFINITION :
Cette contrainte consiste à mettre une loi scientifique sous forme de règle juridique. Ou exprimé de manière axiomatique : toute loi scientifique peut être formulée de manière juridique.
APPLICATION :
Premier exemple : la loi de Dalton.
« La pression au sein d’un mélange de gaz parfaits – ou idéaux – est égale à la somme des pressions partielles de ses constituants. »
DEVIENT :
« La liberté au sein d’un mélange de lois parfaites est égale à la somme des libertés partielles de ses constituants. »
OU BIEN
« L’égalité au sein d’un mélange de lois parfaites est égale à la somme des légalités partielles de ses constituants. »
OU BIEN ENCORE
« La fraternité au sein d’un mélange de lois parfaites est égale à la somme des fraternités partielles de ses constituants. »
Ce qui permet d’essayer plusieurs formulations pour adhérer au concept.
ENFIN :
« La contrainte au sein d’un mélange de libertés parfaites est égale à la somme des contraintes partielles de ses constituants. »
Second exemple : La deuxième loi de la thermodynamique.
« Toute transformation d’un système thermodynamique s’effectue avec augmentation de l’entropie globale incluant l’entropie du système et du milieu extérieur. »
DEVIENT :
« Toute transformation d’un système juridique s’effectue avec l’imprédictibilité incluant la désorganisation du système juridique et du milieu extérieur. »
Toute règle scientifique peut donc trouver son équivalent juridique.
Premier exemple : La loi de l’attraction universelle d’Isaac Newton pourrait être introduite dans le droit.
« Toute pomme perdant son attache avec son arbre doit nécessairement atterrir sur le sol sans dommage »
Second exemple : En acoustique, la progression des décibels (dB) correspond au rapport entre deux puissances sur une échelle logarithmique, l’une étant toujours, en théorie, une puissance de référence.
Soit le son D mesuré en décibel, et P la puissance (intensité ou pression selon les instruments de mesure), P0 étant la puissance de référence. Ainsi :
Cette particularité fait qu’ajouter deux sources sonores de même intensité revient à ajouter 3 dB (et non pas multiplier le nombre de décibels par deux). Et plus les deux sources sont d’intensité éloignée, plus la somme des deux se rapproche de la plus élevée. Il serait donc possible d’intégrer cette échelle au droit et aux législations concernant le bruit, notamment en droit du travail. La règle serait alors :
« Une augmentation de trois décibels est un doublement de l’activité sonore ». Il resterait donc à fixer la proportionnalité des nuisances au cas par cas.
COMMENTAIRE
Il est intéressant de noter que ces règles scientifiques sont également appelées « lois ». Mais alors que régissent-elles ? Il apparait que transposer une loi scientifique en langage juridique n’est pas chose très compliquée alors que faire rentrer un concept juridique dans une formulation scientifique l’est beaucoup plus. Quelle formulation serait-elle la plus à même de traduire le principe de liberté ? On se retrouve avec une part d’arbitraire et d’interprétation, à la fois de la règle scientifique et du concept juridique. L’inconvénient majeur des formulations scientifiques tient à leur rigueur. Les « lois » générales et incontestées qu’elles mettent en évidence laissent peu de place aux nuances – ou imprécisions ? – du droit. Une formulation aussi simple que l’attraction gravitationnelle de la pomme par le sol ou la pression au sein d’un gaz, comporte en droit le risque d’en dire trop ou pas assez.
L’exemple du logarithme peut soulever d’autres interrogations quant aux échelles de mesures. L’introduction du principe scientifique dans la loi pourrait conduire à faire correspondre un régime avec la réalité scientifique et à s’interroger pour savoir si le bruit est évalué correctement. L’exemple montre cette prise en compte pour l’estimation du niveau de bruit mais cela pourrait aller plus loin, comme pour le chiffrage du préjudice. Néanmoins, au vu de l’aspect d’une courbe logarithmique une telle approche serait sans intérêt en cas de très forte intensité sonore.
A ce titre, on peut même aller plus loin, et faire correspondre à la réalité scientifique le calcul des peines. Suivant la même règle de cumul d’intensité présentée en exemple, il serait possible d’imaginer une addition similaire pour le cumul des peines ou en cas de récidive d’infraction (comme c’est le cas aux États-Unis). Mais là encore, on fait face au paradoxe du logarithme. Pour chaque nouvelle récidive, ou plus gros cumul d’infractions, l’aggravation de la peine sera inversement proportionnelle, encore que cela puisse dépendre des temps et des lieux et que la récidive emporte, au contraire, une progression logarithmique de la peine. La perpétuité stricte demeurerait inenvisageable mais il serait possible de s’en rapprocher sans cesse.
Ces réflexions font écho à celles portant sur la jauge. Le but servi par la répression qui se veut dissuasif se retrouve desservi lorsque l’on tombe dans l’extrême ou dans l’absurde. Comme pour une courbe logarithmique, les effets ne sont plus simplement proportionnels non plus que vraiment progressifs, surtout lorsque la jauge est appréciée au doigt mouillé… (voir contrainte de la Jauge).
Les mathématiques peuvent se retrouver là où on ne les attend pas en Droit. Rousseau, selon Philonenko, leur donne une place lorsqu’il s’agit de démontrer la différence entre expression d’une volonté de tous et volonté générale. Bodin conclut ses Six livres de la République sur les principes mathématiques universels d’une justice harmonique. Le calcul arithmétique simple laisse place à une opération algébrique plus complexe, mettant en évidence le calcul de l’intégrale d’une courbe à l’aspect logarithmique dans le premier cas[1], la possibilité de mathématiser l’ordre juridique du monde dans le second.
[1] Dobrescu Radu, « La distinction Rousseauiste entre volonté de tous et volonté générale : une reconstruction mathématique et ses implications pour la théorie démocratique », Revue canadienne de science politique, 42/2, 2009, p. 467-490.