Évaluation

Par Jean-Baptiste Jacob (et un ajout d’Emmanuel Jeuland)

DEFINITION :

 

Si l’on s’accorde sur cette idée sommaire que « le propre de l’évaluation c’est de déterminer la valeur d’une chose »[1] alors, la contrainte de l’évaluation peut trouver une première déclinaison dans la contrainte de la valeur.

L’acte d’évaluation s’articule autour du principe de hiérarchie, principe fondamental de la logique axiologique[2], logique de degrés[3] qui suppose toujours, au moyen d’un acte de dépassement, la distinction entre l’inférieur et le supérieur[4]. Comme l’écrit Polin, « l’évaluation est une hiérarchie en acte, elle prend la forme d’un choix entre deux termes »[5]. La valeur, qu’elle produit, n’est alors « jamais inventée seule, l’invention réside dans la préférence, le choix créateur des termes mis en balance »[6]. Cette caractéristique de la logique hiérarchique que trahit l’acte d’évaluation, suppose alors de la valeur, son produit, qu’on ne la pense que par opposition à une autre.

Elle ouvre alors sur une autre caractéristique de la logique axiologique : la logique de degrés. Cette logique de degrés trouve à se réaliser dans la logique polaire de la valeur[7]. Toute valeur s’inscrit dans une alternative entre un pôle positif et un pôle négatif. Et, pour une valeur positive, il existe bien souvent, une valeur négative qui lui fait contrepoids.

Il s’agit d’apprécier les rapports qu’entretiennent la valeur et le droit, plus précisément la valeur et la règle de droit. Pour y parvenir, l’on propose de chercher les jugements de valeur sous-tendant une règle juridique afin de les mettre en évidence. Faute de méthodologie consensuelle, il sera fait appel, ici, à l’intuition du participant – peut-être, d’ailleurs, la seule option valable dans l’identification d’une proposition de valeurs[8]. En postulant la rationalité de ces jugements de valeurs, il s’agira également d’apprécier les hypothétiques justifications de ces propositions.

APPLICATION :

1.- Aux termes de l’article 27 de la Constitution de la Ve République « Tout mandat impératif est nul ».

Le mandat impératif possède une valeur négative.

Le mandat impératif est (objectivement) mauvais.

Le mandat impératif est (objectivement) mauvais par rapport au mandat représentatif.

Le mandat impératif est (objectivement) mauvais par rapport au mandat représentatif pour… assurer un bon fonctionnement de l’Assemblée nationale et apaiser le débat parlementaire.

Est-il encore objectivement mauvais ?

La règle comportant le jugement de valeur

DEVIENT :

« Tout mandat impératif étant objectivement moins bon que le mandat représentatif est nul ».

2.- Aux termes de l’article 66 de la Constitution de la Ve République :

« Nul ne peut être arbitrairement détenu ».

La détention arbitraire possède une valeur négative.

La détention arbitraire est (objectivement) mauvaise.

La détention arbitraire est (objectivement) mauvaise par rapport à la détention justifiée.

La détention arbitraire est (objectivement) mauvaise par rapport à la détention justifiée pour…obtenir la paix sociale et permettre l’accomplissement de l’individu. Est-elle encore objectivement mauvaise ?

La règle comportant le jugement de valeur DEVIENT :

« Nul ne peut être détenu de manière non justifiée ».

COMMENTAIRE

Est-il possible d’identifier au sein des règles juridiques des jugements de valeur ? Oui, à condition de se référer, faute de mieux, à une méthode de recherche intuitive, les règles juridiques traduisent, en toute logique, les préférences de leurs auteurs.

Du point de vue de leur justification, en revanche, on note qu’elles possèdent une certaine prétention à l’objectivité. Le jugement de valeur de leur auteur, qui participe pourtant de leur essence, doit être nié pour que ces règles parviennent à l’existence juridique. La règle de droit revendique alors une certaine « prescriptivité » objective. En revanche, introduire le jugement de valeur sous-jacent à une règle de droit peut conduire à des règles longues dont l’interprétation est trop restrictive.

La logique bipolaire de la valeur suppose que pour une valeur négative, il existe une valeur positive et inversement. Cette opposition permet de structurer la proposition de valeur, en fixant un point de comparaison permettant ainsi l’acte d’évaluation et la construction de la proposition. Dans notre exemple, dire que le mandat impératif est mauvais signifie simplement que le mandat impératif est moins bien que le mandat représentatif notamment. À nouveau, les raisons sont nombreuses, le mandat impératif peut être considéré, par exemple, comme nuisible à l’exercice de la fonction représentative.

Toutefois, la mise en évidence des raisons possibles sous-tendant la proposition, ne remet-elle pas en cause, justement, la prétention à l’objectivité de ces règles juridiques ; celles-ci ne valant plus objectivement, mais relativement à quelque chose d’autre.

 

[1] Louis Lavelle, Traité des valeurs, T. I, Éd. PUF, Coll. Dito, 2ème éd., 1991, p. 521.

[2] Raymond Polin, La création des valeurs, éd. Librairie philosophique J. Vrin, 3ème éd., 1977, p. 122.

[3] Louis Lavelle, Traité des valeurs, T. I, op. cit., p. 228.

[4] Raymond Polin, La création des valeurs, op. cit., p. 102.

[5] Id.

[6] Id.

[7] Louis Lavelle, Traité des valeurs, T. I, op. cit., p. 233 et s.

[8] À ce propos, v. par ex., George Edward Moore, Principia ethica, Éd. Cambridge University Press, 1922, p. 17 ; Charles Kay Ogden et Ivor Armstrong Richards, The Meaning of Meaning: a study of the influence of language upon thought and of the science of symbolism, Éd. Harcourt, Brace and World, 1923, p. 226 ; v. encore John Leslie Mackie, « Ethics : Inventing Right and Wrong », éd. Penguin Books, coll. Pelican books, 1977, p. 38 et s.