Inversion des mots
Par Gaële Gidrol-Mistral et Camille Porodou
DEFINITION :
La contrainte consiste à inverser des mots dans un texte juridique.
APPLICATION :
L’article 915 du Code civil du Québec (CcQ) « Les biens appartiennent aux personnes ou à l’État, ou font, en certains cas, l’objet d’une affectation ».
DEVIENT :
« Les personnes appartiennent à l’État, ou font, en certains cas, l’objet d’une affectation ».
L’article 947 CcQ « La propriété est le droit de jouir librement et complètement d’un bien sous réserve de la loi »
DEVIENT :
« La loi est le droit de jouir librement et complètement d’un bien sous réserve de la propriété ».
COMMENTAIRE :
L’inversion des mots change le prisme de la règle.
Dans l’article 915, article novateur du droit civil québécois, qui dévoile deux modes de relations aux biens, la propriété privée ou l’affectation, l’inversion des mots « biens » et « personnes » a un effet déformant. La nouvelle rédaction ne pointe pas les personnes privées ou publiques mais une collectivité de personnes prise, non plus comme des titulaires de droits subjectifs, dont la propriété est le parangon, mais comme un tout indivisible formant une universalité de personnes. Par ailleurs le rôle de ces personnes placés sous le dominium de l’État ou affectées à une fonction sociale prend une coloration beaucoup plus objective.
L’écriture inversée de l’article 947, qui marquait un recul de l’absoluité de la propriété (le terme absolu du code civil du Bas-Canada ayant disparu) et mettait l’accent sur la fonction sociale de la propriété et les limites que la loi peut lui imposer, renverse également la perspective. La propriété n’est plus vue comme une condition de la liberté individuelle mais comme une limite de la liberté individuelle ; j’ai le droit de jouir librement de mes biens sauf si cette jouissance contrevient à la propriété des autres ; ma liberté est donc conditionnée par mon devoir, celui de respecter la propriété des autres.
La réécriture inversée de ces textes met en avant un modèle différent de celui du droit subjectif dans lequel ce ne sont plus les droits mais les devoirs des personnes, soumis à l’État, à une fin particulière et à la propriété, qui priment et impriment une fonction sociale aux biens et aux personnes. On se rapproche des thèses de Duguit…