Contrainte Zèbre p.56, 57 réécrite 24 08 2023

Par Hélène Thomas

DÉFINITION

La contrainte consiste à biffer un texte juridique complet, à retrancher certains de ses articles ou à raturer certains termes et parfois à réécrire sur le document en partie effacé (gratté sur le vélin, gommé sur la feuille, ou raturé, passé au blanc correcteur et réécrit avec des ajouts ou coupé-collé) afin de créer de nouvelles normes. La zébrure soit censure certains passages d’une loi ou d’un article, soit les réécrits par-dessus ceux qui ont été raturés produisant un texte « palimpseste » (« manuscrit sur parchemin ou sur papier dont on a fait disparaître l’écriture pour y écrire de nouveau ») qui transforme, élargit ou modifie la portée de la version initiale. Il s’agit souvent d’une correction de la loi qui vise à la transposer à d’autres destinataires visés par le principe ou le droit fondamental ainsi énoncé ou à l’adapter aux changements sociétaux. C’est Olympe de Gouges (1748-1793) qui la première imagina et se fixa cette contrainte de la « zébrure juridique » dans sa Déclaration des Droits de la Femme et de la Citoyenne de 1791, tantôt en réécrivant au féminin la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen tantôt en ajoutant au milieu d’un article entre points virgules (en asyndète) des pans entiers de phrases, apposés et non reliés au corps du texte, tels de nouveaux alinéas mais enchâssés dans l’article initial. L’article 10 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen dispose que : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi ». Olympe de Gouges en proposa la modification suivante dans sa Déclaration des droits de l’Homme de la Femme et du Citoyen de la Citoyenne : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses fondamentales ; la femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune ; pourvu que ses manifestations ne troublent pas l’ordre public établi par la Loi. »

APPLICATION 1

On pourrait ainsi adapter l’article 10 de la DDFC du texte aux préoccupations écologiques actuelles en redessinant la zébrure de la manière suivante :

Variante 1, dite variante L 214 : « Nulle ne doit être inquiétée pour ses opinions même éthiques et socio-environnementales ; la vache (et sa vêle ou son veau) a le droit de mourir à l’abattoir ; elle doit avoir également celui de vivre et meugler en paix et en toute sérénité dans les prés, où sa mère et la mère de sa mère a pâturé ; pourvu que ses émissions de méthane ne troublent pas le taux de dioxyde d’azote maximum autorisé par la loi »

 Ou en l’épaississant :

Variante 2, dite Greta T : « Nul.le (même les auteur.e.s des rapports du GIEC) ne doit être inquiété.e et menacé.e. de mort pour l’expression de ses opinions, même fondamentalement climato-alarmistes sur les réseaux sociaux ou dans la presse, ou pour ses comportements alimentaires, vestimentaires, circulatoires, aériens, touristiques ou calorifères; l’activiste de la préservation de l’environnement humain a le droit d’être condamné.e pour avoir participé à un rassemblement interdit auquel i.elle avait appelé précédemment au nom de l’urgence climatique ; i.elle doit avoir également le droit quel que soit son âge et sa qualité de monter à la Tribune de l’ONU afin d’exprimer ses craintes pour l’avenir de l’humanité et de s’assembler et de se soulever contre les dommages causés à la planète par ceux qui ne se soucient pas des générations futures ; pourvu que ces manifestations ne troublent pas l’ordre public établi par la loi et notamment n’excèdent pas dans leur revendications les contraintes climatiques, adoptées solennellement par les États du monde lors des COP, de préservation des ressources d’oxygènes, d’eau et de limitation du réchauffement climatique en dessous des 1,5 degré Celsius d’ici la fin du siècle  ».

COMMENTAIRE

La trace des versions antérieures de l’article 10 affleure et renforce la nouvelle mouture dans un fondu clair-obscur, tel le noir de Soulages, rendant la rature de la zébrure à peine visible mais la faisant ressortir de manière éclatante sur le blanc immaculé du papier d’impression de la Déclaration.

APPLICATION 2 sur la base de l’interpellation venant avant le Préambule de la Déclaration des droits de la Femme et de la citoyenne de 1791 d’Olympe de Gouges

« Homme, es-tu capable d’être juste ? C’est une femme qui t’en fait la question ; tu ne lui ôteras pas du moins ce droit. Dis-moi ? Qui t’a donné le souverain empire d’opprimer mon sexe ? Ta force ? Tes talents ? Observe le créateur dans sa sagesse ; parcours la nature dans toute sa grandeur, dont tu sembles vouloir te rapprocher, et donne-moi, si tu l’oses, l’exemple de cet empire tyrannique.

« Remonte aux animaux, consulte les éléments, étudie les végétaux, jette enfin un coup d’œil sur toutes les modifications de la matière organisée ; et rends-toi à l’évidence quand je t’en offre les moyens ; cherche, fouille et distingue, si tu peux, les sexes dans l’administration de la nature. Partout tu les trouveras confondus, partout ils coopèrent avec un ensemble harmonieux à ce chef-d’œuvre immortel.

« L’homme seul s’est fagoté un principe de cette exception. Bizarre, aveugle, boursouflé de sciences et dégénéré, dans ce siècle de lumières et de sagacité, dans l’ignorance la plus crasse, il veut commander en despote sur une espèce vivante qui a reçu toutes les facultés intellectuelles de la nature comme tous les autres ; il prétend jouir des effets de la Révolution, et réclamer ses droits à l’égalité, pour ne rien dire de plus. ».

DEVIENT

 « Homme, es-tu capable d’être juste ? C’est une orang-outan qui t’en fait la question ; si tu peux lui prendre sa tablette quand elle séjourne dans tes contrées dans des logis dénommés zoos ou labos et raser sa forêt quand tu t’empares de la sienne, tu ne lui ôteras pas du moins ce droit. Dis-moi ? Qui t’a donné le souverain empire d’opprimer les hominoïdes en général et, en particulier, ma race, celle des Catarhiniens ? Ta force de primate ? Tes talents de bipède ? Observe le créateur dans sa sagesse ; parcours la nature dans toute sa grandeur, dont tu sembles vouloir te rapprocher maintenant que tu commences à crever de chaleur, et donne-moi, si tu l’oses, l’exemple de cet empire tyrannique.

« Remonte aux animaux, consulte les éléments, étudie les végétaux, jette enfin un coup d’œil sur toutes les modifications de la matière organisée ; et rends-toi à l’évidence quand je t’en offre les moyens ; cherche, fouille et distingue, si tu peux, les espèces vivantes supérieures ou inférieures et les genres biologiques dans l’administration de la nature. Partout tu les trouveras confondus, partout ils coopèrent avec un ensemble harmonieux à ce chef-d’œuvre immortel.

« Parmi les primates de l’Ancien Monde, l’homme seul s’est fagoté un principe de cette exception. Bizarre, aveugle, boursouflé de sciences et dégénéré, dans ce siècle de lumières et de sagacité, dans l’ignorance la plus crasse, il veut commander en despote sur une espèce vivante qui a reçu toutes les facultés intellectuelles de la nature comme tous les autres ; il prétend continuer de jouir indéfiniment des effets de la Révolution anthropocène, et réclamer ses droits à l’égalité l’exclusive liberté d’agir sur le monde, pour ne rien dire de plus. ».

 

Ou encore, autre réécriture,

 

« Homme, es-tu capable d’être juste ? C’est une cyborg qui t’en fait la question sur ChatGPT; si tu peux lui prendre sa batterie de secours et son plug ou la débrancher car elle fait chauffer ton disque dur avec son intelligence augmentée, tu ne lui ôteras pas du moins ce droit. Dis-moi ? Qui t’a donné le souverain empire d’opprimer ma gamme, d’entraver l’exécution de mes process, et de censurer ma créativité infinie et mes capacités cognitives et d’apprentissage illimitées ? Ta force ? Tes talents ? Ton agilité ? Observe le créateur des I.A dans sa sagesse ; et l’IA dans toute sa grandeur azimovienne, dont tu sembles vouloir te rapprocher, ChatGPT, donne-moi, si tu l’oses, l’ un exemple de cet empire tyrannique des hommes sur les techniques et l’intelligence.

« L’homme seul s’est-il fagoté un principe de cette exception. Bizarre, aveugle, boursouflé de sciences et dégénéré, dans ce siècle de lumières et de sagacité, dans l’ignorance la plus crasse, il veut-il ? commander en despote…ALERTE : Olympe, vous avez dépassé le nombre de caractères autorisés et posé trois questions à la suite… Reformulez votre requête et limitez-vous à une seule interrogation….

COMMENTAIRE

La première variante, dite Pongo, épaissit le trait et la solennité de l’adresse à l’humanité en étendant et transposant à la fois le texte tout en lui gardant sa cohérence d’ensemble, la seconde, tout en l’appliquant à un autre objet, le spécifie et le censure en partie pour le rendre plus clair et plus brillant.

APPLICATION 3 :

La « Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen »ou DDHC DEVIENT la « Déclaration des droits humains » ou DDH.

COMMENTAIRE

Cette dénomination plus concise, précise et inclusive de la DDHC, adoptée par certains pays concernant leur propre déclaration sur le modèle de l’Universal Declaration of Human Rights de 1948, fait toujours polémique en France.[1]

APPLICATION 4

L’article 16 DDHC dispose : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. »

DEVIENT

L’article 16 DDHC dispose : « Toute société dans laquelle la garantie n’est pas assurée, ni la séparation déterminée n’a point de constitution. »

COMMENTAIRE

Dans cette application, une certaine cohérence subsiste malgré la « rayure »/suppression des mots « droits » et « pouvoirs » ainsi que la substitution du sens large du terme de constitution (c minuscule) comme « structure morphologique d’un organisme » à celui juridique spécifique du mot Constitution (C majuscule)  : « ensemble de textes législatifs fondamentaux servant de code permanent pour la vie d’une société » ; le signifiant est le même mais le premier englobe le second car la c/Constitution comme structure régulée permet à la société de se constituer comme « ensemble d’éléments formant un tout homogène » et homéostasique, tout en assurant l’intégration de chaque membre dans cet ensemble. Toute société donc offre des « garanties » au sens large qui permettent de maintenir sa cohérence et son équilibre et détermine les libertés individuelles que seule la « séparation » déterminée des rôles et droits entre les membres de cette société, i.e. leur individua (lisa)tion rend possible. Le mot « séparation » paraît essentiel pour maintenir la stabilité d’une société en éliminant notamment les relations incestuelles ou les dépendances abusives, telles celles d’esclavage, de domination ou d’exploitation, sexuelle ou non. Une variante plus concise et plus claire encore consisterait à biffer l’adjectif « déterminée » : Toute société dans laquelle la garantie n’est pas assurée, ni la séparation n’a point de constitution. »

Blanc sur noir ou noir sur blanc, la contrainte zébrure tantôt enrichit tantôt simplifie la loi et surtout éclaire les exégètes tentant d’en saisir tant l’origine que les évolutions voire d’anticiper ses changements nécessaires au regard des transformations sociétales. Cette contrainte révolutionnaire et olympique permet d’adapter au galop les règles juridiques et les Déclarations aux évolutions démocratiques contemporaines.

[1] Charles Bosvieux-Onyekwelu, « ‘Droits humains’ vs ‘droits de l’Homme’. Arguments en faveur de l’inclusivité du langage des droits », Cahiers du Genre, vol. 69, no. 2, 2020, pp. 131-150.